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Julia Rocha: Trouver sa voi(e)x dans la diaspora

Roxane Cassehgari
| 12 Février 2022 | Music

Julia Rocha est un.e véritable artiste multidisciplinaire : producteurice de radio, vocaliste, guitariste dans un groupe punk, producteurice de musique et enseignanx de son jarocho, une pratique musicale traditionnelle originaire de la région de Veracruz au Mexique.

J'ai interviewé Julia à l'automne 2019, dans sa résidence universitaire de Columbia, avant qu'iel ne soit diplômé.e. J'étais très intéressée d'en savoir plus sur sa pratique de son jarocho, ainsi que sur l’importance de retrouver son héritage culturel pour se trouver soi-même. Les parents de Julia ont émigré du Mexique aux États-Unis. En grandissant, Julia a commencé.e à s'interroger sur son identité, sur ce que cela signifie d'être Mexicain.e-Américain.e. En découvrant et en jouant du son jarocho, Julia a entamé une recherche de son propre soi, en renouant avec son histoire familiale, mais aussi en lui permettant de construire sa propre communauté.

Nous avons discuté du rôle de la diaspora dans le changement des normes sociales, comme celles relatives au genre ou à la classe, par exemple. Selon Julia, le fait de vivre entre plusieurs cultures et d’avoir la possibilité de franchir les frontières est un privilège conséquent qu’il faut reconnaître et utiliser de manière responsable. Néanmoins, les groupes d'immigrants et de diasporas sont loin d’être homogènes. Les privilèges peuvent varier. Par exemple, nous tenons pour acquis que tout le monde peut accéder de la même manière à ses traditions. Mais lorsque les traditions sont cooptées par des institutions et des lieux élitistes comme le monde universitaire, elles peuvent alors devenir source d'exclusion.

En 2020, au moment de la pandémie, j'ai mis cette interview en pause, alors que ma propre vie changeait radicalement. Sur les médias sociaux, j'ai vu Julia s'épanouir et devenir ‘Niña Chispa’, un alter ego scénique qui affirme son identité non-binaire. J'ai compris alors qu’iel avait achevé une belle avancée dans la recherche de son identité. Nous avons repris contact au cours de l'été 2021. Presque deux ans après notre première conversation. Cette interview reflète donc l’avant et l’après pandémie.

Photos by Vielka Rosario Ebadan

Comment as-tu découvert le son jarocho ?

J'ai commencé à pratiquer le son jarocho en 2015. Je suis né.e au Mexique, et j'ai grandi en Californie, où vit une grande communauté chicanx, mais l'endroit où j'ai découvert le son jarocho est à NYC, Jackson Heights, dans le Queens à Terraza 7. Il y avait un collectif de son entièrement féminin, ‘Caña Dulce y Caña Brava’. Ximena Violante était également présente, avec son groupe ‘Interminable’. J'ai pu voir toutes ces femmes chanter et jouer plusieurs instruments à la fois. J’ai senti que la musique m'appelait tout comme l'environnement.

Je me suis approché.e des musiciens, et je leur ai demandé « où vous réunissez-vous? » Quelqu’un m'a répondu « il y a un atelier demain. Tu peux venir sans connaissance préalable. » Je suis allé.e à l'atelier le lendemain. Raquel Vega, une chanteuse de son , qui était aussi à Terraza, était là. Elle fait partie de la famille Los Vega, une famille de son chanteuse de son de Veracruz très connue. Elle a été la première personne à m'apprendre à chanter et à jouer de la jarana (une petite guitare utilisée dans le son).

Le son jarocho vient de la région de Sotavento, dans l’État de Veracruz, sur la côte caribéenne du Mexique. C’est un genre musical marqué par le mélange des cultures espagnoles, indigènes et africaines. Jouer du son jarocho consiste à se réunir en cercle et à jouer des instruments comme la jarana (une petite guitare), le pandero (une percussion circulaire tenue à la main), la harpe jarocha ou le cajón. Le chant fonctionne d’après une dynamique d'appel et de réponse. Au milieu du cercle, les gens dansent le zapateo, rappelant ainsi le flamenco espagnol. Un rassemblement de son jarocho s'appelle un fandango. Comme la plupart des musiques traditionnelles, les fandangos sont des moments de rassemblement et de joie collective.

Quand tu parles de son, on a l'impression qu’il s’agit d’une pratique musicale, mais aussi d’une sorte de famille.

Il existe une très une belle communauté autour du son. J'ai pu voyager dans de nombreux endroits grâce à elle. Je ne connaissais pas très bien la côte Est des Etats-Unis. Grâce à la communauté de son, je suis allé.e à Philadelphie où j'ai été accueilli.e comme à la maison. Pareil à DC ou à Chicago. J'y ai instantanément trouvé une famille.

En Californie, j'ai maintenant une nouvelle famille grâce au son, en plus de mes ami.es et de ma propre famille. À Los Angeles, la communauté de son jarocho est très liée aux mouvements contre la gentrification et pour le droit au logement. Iels se réunissent régulièrement à l'East Side Café, un espace culturel qui est très connu pour son engagement dans le droit au logement, et lorsque j'y suis retourné.e pendant la pandémie, j'ai réalisé à quel point la communauté de son jarocho était lié à ces mouvements.

Son « Son incarne un type d'apprentissage horizontal que l'on ne voit pas beaucoup dans les structures d'apprentissage plus officielles. Vous n'avez pas besoin d'être un expert ni de tout savoir. »

Le son jarocho crée donc des espaces collectifs. Est-ce que c’est pour cela que tu as créé les ateliers à New York ?

Avec mon ami Ivan, qui joue aussi du son, nous parlions beaucoup de la communauté de son que nous avons connu dans différents endroits des États-Unis. Nous avions souvent des conversations sur ce que nous voulions faire, et sur ce qui nous semblait manquer à New York. Dans un fandango à Veracruz, vous avez les anciens qui chantent des vers qui parlent de leur vie. Vous avez des jeunes qui interprètent ces vers en parlant de leur propre réalité. Et puis vous avez les enfants qui ne se lassent jamais et qui font perdurer ce moment.

Ivan a démarré un atelier appelé ‘Mision Jarana’, et j'ai commencé à enseigner avec lui. Ça a été une expérience incroyable. Le Son incarne une sorte d'apprentissage horizontal que l'on ne voit pas beaucoup dans les structures d'apprentissage officielles. Quand vous entrez dans un fandango, votre présence est validée. Quelle que soit votre contribution, elle a de la valeur. Vous n'avez pas besoin d'être un expert ni de tout savoir. Nous maintenons aussi très intentionnellement un espace intergénérationnel.

Tu dis que le son est une expérience d'apprentissage horizontal. Comment c’est de l’enseigner ?

Le fait que je ne me considère pas comme un.e expertx est en fait ma force en tant qu'enseignanx. J'ai l'impression d'apprendre en permanence aux côtés des élèves. Quand iels posent des questions, iels me font réfléchir. Les enfants ne sont jamais à court de questions. Leur enthousiasme pour le son me donne de l'énergie.

C'est aussi intéressant et stimulant d'enseigner parce que la diaspora contient tellement de d'expériences différentes. Nous pouvons tous nous identifier comme Chicanx ou Mexicain.e-Américain.e, mais cela ne signifie pas, par exemple, que tout le monde parle l’espagnol. Lorsque j'enseignais les paroles, je pensais que ces enfants pouvaient lire l'espagnol, alors j’écrivais des vers au tableau, et ces enfants étaient très timides. Alors j'ai compris, et je leur ai demandé "savez-vous lire l'espagnol ?", et iels m'ont répondu que non. Il y a des gens dans la salle qui ne parlent que l'espagnol, et il y a des gens qui peuvent comprendre l'espagnol, mais ne le parlent pas ou ne peuvent pas le lire.

Tu as grandi à Los Angeles. Puis, tu as déménagé sur la côte Est, et tu as trouvé le son, ce qui te ramène finalement à un autre endroit familier, le Mexique. Cherchais-tu un moyen de te reconnecter avec quelque chose qui était en quelque sorte perdu ? Peut-on dire que la musique est un moyen de réparer et de retrouver ce que nous perdons lorsque nous émigrons ?

Oui, je dirais cela. Il y a des choses qui existaient déjà avant notre migration, et que j'essaie de réparer ou de retrouver. Je pense beaucoup au whitewashing qui existe dans les pays d'Amérique latine. Par exemple, je pense à la musique nous écoutions ou que nous n'écoutions pas à la maison. Ça a été incroyable de découvrir les disques de son jarocho de ma grand-mère quand je suis retourné.e au Mexique. Pourtant, nous n'avions jamais écouté de son à la maison, pas même de musique latino-américaine. Mon père écoutait du rock ou du jazz, des styles de musique très occidentaux. C'était fou de voir les disques de musiques traditionnelles de ma grand-mère. C'est quelque chose qu'elle n'a pas eu l'occasion de me transmettre. Je ne pouvais aller chez elle qu'une fois par an, pour quelques semaines, en fonction de notre situation financière. Ce qui est fascinant c’est que que malgré le fait de ne pas avoir eu cet espace de transmission, je l'ai en quelque sorte trouvé par moi-même.

Aujourd'hui, quand je retourne au Mexique, il y a une certaine mélancolie, une sorte de nostalgie. Quand je rencontre des gens avec qui mes parents ont grandi, je me dis que ce sont des gens qui auraient influencé ma vie, de même que des oncles et des tantes... Je pense toujours à ce qu'aurait été ma vie. Mais aujourd'hui, je suis tellement reconnaissanx d'avoir pu construire une communauté de personnes que j'aurais aimé avoir en grandissant. Et maintenant, je peux offrir cet espace à d'autres personnes. 

Tu es un américain.e de première génération, comment as-tu défini ta propre identité en grandissant ?

Ma mère raconte toujours cette anecdote. Je revenais de l’école, et je lui ai demandé, « qu'est-ce que nous sommes ? Qui je suis ? Je suis mexicain.e ? Je suis américain.e ? » Elle m'a qu'elle ne pouvait pas répondre à cette question pour moi. Je devais le découvrir par moi-même. Être citoyen de première génération peut être une expérience très isolante. Comment demander à un enfant que vous élevez dans une culture et un pays qui est totalement étranger à celui dans lesquels vous avez été élevé comment il va ? Il y avait tellement de questions que je posais et auxquelles mes parents ne pouvaient pas répondre. Alors, je me définissais par rapport ou en opposition à ce que je voyais autour de moi. Allant à l'école dans un lycée avec une majorité d’élèves blanc.hes et de familles aisées, je pouvais dire « ma famille a émigré ici, et je ne suis pas comme ça. » Je vais choisir de ne pas l'être de manière visible. Je prenais des vêtements dans les tiroirs de ma mère, et je portais des huipiles à l'école. C'était ma recherche d'identification à moi.

« Comment demander à un enfant que vous élevez dans un pays totalement étranger à celui dans lesquels vous avez été élevé comment il va ? »

Tu as mentionné avoir pris conscience des nombreuses différences qui existent au sein de la diaspora, comme le fait que certaines personnes ne parlent pas la langue de leurs parents. Peux-tu m'en dire plus à ce sujet ?

Dans ma famille, par exemple, nous avons eu des difficultés, mais nous avons eu aussi beaucoup de privilèges. Mon père est cinéaste, c'est pourquoi nous avons déménagé à Los Angeles. Je me souviens qu'une fois, à l'école, quelqu'un m'a demandé : « Que font tes parents ? » Je lui ai dit que ma mère était bibliothécaire dans une école primaire, et que mon père était réalisateur de documentaires, et elle a dit : « oh, donc tes parents sont des Mexicains éduqué.es. » Cette sorte de « oooh ta famille n'est pas le stéréotype du travailleur migrant. » 

Nous devons avoir une compréhension plus complexe des différences qui existent au sein de la diaspora et de la catégorie « immigrant ». Il y a même des nuances dans la catégorie « personne racisée. » Rien n’est binaire. C'est fou d'aller au Mexique et d'être rubiecita et considéré.e comme faisant partie de l'élite, puis de revenir aux États-Unis et d'être une personne racisée. Lorsque j'ai assisté au Fandango Transferizo (voir question suivante) - et je ne parle pas au nom de tous celleux qui étaient présenxs à cet événement - j'ai également réalisé que je faisais partie d’une institution universitaire prestigieuse, malgré les revenus de ma famille ou ce qu'elle a dû affronter pour venir ici, et que j'avais maintenant les ressources nécessaires pour prendre une semaine de vacances et traverser le pays en avion pour participer à cet événement. Je n'invalide pas l'importance de se rendre dans ces espaces et de le rendre plus visible, mais il est tout aussi important de reconnaitre les privilèges qui existent dans les espaces de musique traditionnelle. Que pouvons-nous faire pour les mobiliser ? Parce que nous rassemblons déjà des gens, mais quel type de lien voulons-nous créer, et comment pouvons-nous reconnaître les dynamiques de pouvoir au sein de nos communautés, ainsi qu'entre nos communautés et le monde extérieur ?

Merci pour ça. Tu as raison. Penses-tu que la diaspora a un rôle à jouer en bougeant les normes qui nous desservent, et en remettant en question toute forme de simplification de l'identité ?

L'un des rôles que je vois pour moi, en tant que membre d’une jeunesse diasporique, est de faire tomber les barrières et de montrer un autre rapport que celui du « Nous contre Eux. » Les luttes auxquelles nous sommes confrontés ici, et les luttes que nous avons à l'extérieur, comme dans nos pays d'origine... ce « Nous contre Eux » est totalement faux. Les ordres nationaux sont des constructions. Bien sûr, ils sont réels en tant qu’espaces militarisés, mais quand on regarde comment l'économie fonctionne, c'est grâce au pouvoir transnational. C'est à cause de l'économie transnationale et des entreprises qui exploitent et commettent des abus ici, et qui le font aussi en Amérique latine, au Moyen-Orient, partout. Construire des expériences de solidarité transnationale est essentielle pour comprendre que nous devons être solidaires avec les personnes qui vivent une réalité qui nous est dépeinte comme lointaine et très lointaine.

L'un des rôles que je me vois en tant que membre de la jeunesse diasporique est de faire tomber les barrières et de montrer un autre type de ‘Nous contre Eux’.

En parlant de solidarité transnationale, peux-tu parler du Fandango Fronterizo ?

C'est un événement qui se déroule depuis dix ans. Il y a deux fandangos. Il y en a un le jour et un la nuit. Celui de la journée se déroule des deux côtés, et celui de la nuit se déroule uniquement du côté de Tijuana. J'y ai participé du côté américain, à San Diego. C’est un espace incroyable. Il y avait des gens qui venaient de tous les coins des États-Unis, et d'autres qui venaient du Mexique.

C'est un autre moment où j'ai été très conscienx de ma position en tant que personne qui a un passeport qui me permet de voyager des deux côtés. Il y avait tellement de personnes qui ne pouvaient être présenxs que d'un seul côté, et qui étaient là pour voir leur famille. C’était très beau de voir ces gens de tous horizons, et de sentir la solidarité entre toutes ces expériences.

Cela a dû être fort émotionnellement.

Sans aucun doute. Le son est une musique dont le chant fonctionne sur une dynamique « d'appel et de réponse », et là, vous le faites avec des barrières en acier entre vous. Lors d’un fandango, vous devez projeter votre voix, car il y a beaucoup d'instruments. Mais lorsqu'il y a une barrière d'acier, vous devez vraiment projeter votre voix. Il fallait que je chante fort pour que les gens de l'autre côté de la frontière puissent m'entendre. On sentait la force provenant du désir d'être entendu.e et d'être en contact avec les gens de l'autre côté. À certains moments, je ne pouvais pas entendre la personne de l'autre côté à cause de la barrière d'acier, et à d'autres moments, on oubliait presque qu'elle était là. La tarima (scène) était juste à côté de la frontière, donc quand vous vous avanciez pour danser, vous pouviez voir une tarima placée de l'autre côté de la frontière. Même à travers las rejas (barrières), on pouvait voir que l'on dansait avec quelqu'un.

Le fandango de journée ne durait que 2 heures, si je me souviens bien. Donc, pendant ces deux heures, nous étions tous ensemble. À 14 heures pile, quand le fandango était terminé, du côté mexicain, on était libre de faire ce qu'on voulait. Du côté américain, la patrouille frontalière est venue nous dire que nous devions nous éloigner du mur immédiatement. On vivait un moment de joie et de convivencia, et puis, tout d’un coup, il fallait partir.

Je pense à la force de la joie collective, au fait d'être en communauté... Cela me rappelle pleasure activism dont parle Adrienne Marie Brown. Cela pourrait facilement être un rôle pour la diaspora : créer des espaces de joie comme forme d’acte politique.

Oui, je considère ce travail comme intrinsèquement politique, et oui, pleasure activism est clairement là : ce qui nous procure du plaisir, ce qui nous permet de trouver une communauté, où nous trouvons un sentiment d'appartenance... Ce sont tous les fondements de la formation politique. Celleux avec qui nous construisons des alliances, et la façon dont nous choisissons d'être en relation les uns avec les autres. C'est cela le travail politique. Nous devons créer des espaces de formation politique d'une manière qui crée aussi des espaces de joie collective ; des espaces dans lesquels les gens ont un sentiment d'appartenance. 

J'ai l'impression que depuis la pandémie, tu t’es vraiment épanoui.e en tant que producteurice de musique et interprètx. Sur les réseaux sociaux, j'ai vu la naissance de Niña Chispa et de ses premières chansons. Comment l'alter ego musical est-il apparu ?

J’ai commencé à produire de la musique en 2019. C'était effrayant. Les personnes que je connaissais qui produisaient de la musique étaient uniquement des hommes cis. J'ai toujours eu l'impression que c'était une chose inaccessible. Un.e ami.e m'a aidé.e à le démystifier, alors à l'été 2019, j'ai commencé à produire mes premiers beats. J'ai réalisé, 'oh mon dieu', je peux faire une chanson entière par moi-même. J'ai adoré la façon dont on pouvait manipuler les sons et prendre des sons de sa vie. J'ai enregistré des sons de nos ateliers Son Jarocho, et je les ai utilisés. son jarocho workshops, and I used them. 

Puis la pandémie est arrivée, et je n'avais plus que ma chambre. La musique a toujours été synonyme de rassemblement et de partage, et tout à coup, je me suis retrouvé.e dans un espace où je ne pouvais pas rencontrer d'autres personnes. Je ne sais pas ce qu'aurait été la pandémie sans la musique. Pendant la quarantaine, j'ai créé une relation intime avec ma propre voix, et j’ai renforcé mes compétences de vocaliste et de producteurice. La deuxième semaine de quarantaine, j'ai compris comment mettre ma propre voix en boucle sur Ableton. Je me souviens de la sensation que je ressentais dans mon corps. En me retrouvant dans ma chambre d'enfant en Californie, en étant capable de créer ces harmonies par moi-même, j'ai commencé à expérimenter. J'ai enregistré 19 voix, et je me suis senti.e moins seul.e. Dans mes écouteurs, j'entendais 19 voix qui chantaient toutes ensemble, et c'était moi. C'était moi qui me tenais compagnie et qui tentait de comprendre tout ce qui se passait.

Tu as donc composé tes propres morceaux ?

J'ai commencé à écrire une chanson dans la file d'attente à l’aéroport lors de mon retour en Californie, et je n'ai pas pu m'empêcher de penser à la parabole du semeur d'Octavia Butler:

« Tout ce que tu touches, tu le changes Tout ce que tu changes te change. La seule vérité durable est le changement Dieu est le changement »

Une première chanson est née de ce texte. C'était le printemps 2020, et le printemps est censé être une période de renouveau. Même si la nature autour de moi le montrait, la réalité qui m'entourait était déconnectée. J'étais censé.e me diplômer de l'université, et tout a brusquement changé. C'est donc une chanson sur le fait d’être à un moment très différent de ce qu’on s'attendait, et malgré cela, de trouver les moyens de célébrer ce moment, et de pouvoir apprendre et évoluer.

Et le nom ‘Niña Chispa’ ? D'où vient-il ?

Ma famille avait l'habitude de m'appeler ‘chispa’ ou ‘chispita’, comme une petite chose qui court partout. Beaucoup de mes chansons parlent du retour à l'énergie de l'enfance, et de la guérison des blessures de l'enfance. Quand j'étais enfanx, j'ai absorbé tellement de messages nuisibles sur le genre. J'ai fait mon coming out en tant que personne non-binaire pendant la quarantaine. J'ai pris conscience de la façon dont je me sentais dans mon corps. C’est quand j’étais au calme, sans la vie qui court vite, j'ai réalisé à quel point je me sentais mal à l'aise. J'ai alors réalisé où et comment je me sentais à l'aise, et j'ai compris que je voulais me défaire de cette binarité et trouver d'autres possibilités. 

J'ai écrit une chanson la semaine où j'ai fait mon coming out à mes parents. Dans cette chanson, je chante à mon ‘moi enfant’, cet.te enfant qui était si plein.e de possibilités, et à qui on a dit qu'il n’existait que certaines possibilités. Et je parle à mes ancêtres. Peut-être que si j'avais dit à ma grand-mère que j'étais non-binaire, elle n'aurait pas compris ce que cela signifiait, mais je reconnais qu'en tant que femme de sa propre période, sa résistance est la raison pour laquelle my queer ass peut exister. Une des lignes de la chanson est :

"Je sais que je ne suis pas ce que tu attendais, mais je suis ce que tu as rendu possible."